Octobre 1829 — À Schmied. Ode de Klopstock écrite pendant une maladie dangereuse, dans La Psyché, t. XX, p. 48-53, signé Gérard.

Cette ode du poète allemand Klopstock sera reprise en volume en 1830 dans Poésies allemandes, et 1840 dans Faust de Goëthe, suivi du second Faust.

Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE

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A SCHMIED.

ODE DE KLOPSTOCK.

ÉCRITE PENDANT UNE MALADIE DANGEREUSE.

 

Mon ami Schmied, je vais mourir ; je vais rejoindre ces âmes sublimes : Pope, Addison, le chantre d’Adam, réuni à celui qu’il a célébré, et couronné par la mère des hommes.

Je vais revoir notre chère Radikin, qui fut pieuse dans ses chants comme dans son cœur, et mon frère, dont la mort prématurée fit couler nos premières larmes, et nous apprit qu’il y avait des douleurs sur la terre.

Je m’approcherai du cercle des saints anges, de ce chœur céleste, où retentit sans fin l’hosanna ! l’hosanna !

Oh ! bienfaisant espoir ! Comme il me saisit, comme il agite violemment mon cœur dans ma poitrine !... Ami, mets-y ta main.... J’ai vécu, et j’ai vécu, je ne le regrette point, pour toi, pour ceux qui me sont chers, pour celui qui va me juger.

Oh ! j’entends déjà la voix du Dieu juste, le son de sa redoutabe balance..... Si mes bonnes actions pouvaient l’emporter sur mes fautes !

Il y a pourtant une noble pensée en qui je me confie davantage : J’ai chanté le Messie, et j’espère trouver pour moi devant le trône de Dieu une coupe d’or pleines de larmes chrétiennes !

Ah le beau temps de mes travaux poétiques ! Les beaux jours que j’ai passés près de toi ! les premiers, inépuisables de joie, de paix et de liberté ; les derniers, empreints d’une mélancolie qui eut bien aussi ses charmes.

Mais, dans tous les temps, je t’ai chéri, plus que ma voix, que mon regard ne peuvent te l’exprimer..... Sèche tes pleurs ; sois un homme, et reste dans ce monde pour aimer Rothen, notre ami.

Reste pour entretenir ta sœur, après ma mort, du tendre amour qui eût fait mon bonheur ici-bas, si mes vœux eussent pu s’accomplir.

Ne l’attriste pas, cependant, du récit de ces peines inconsolées qui ont troublé mes derniers jours, et qui les ont fait écouler comme un nuage obscur et rapide.

Ne lui dis point combien j’ai pleuré dans ton sein.... ; et grâces te soient rendues d’avoir eu pitié de ma tristesse, et d’avoir gémi de mes chagrins !

Un jour, peut-être, touchée par mes écrits, quelque fille au noble cœur promènera autour d’elle des regards attentifs, cherchera dans son siècle des hommes vertueux, et puis, s’écriera tristement :

« Oh ! puisse-t-il vivre encore, celui dont le cœur comprenait si bien l’amour ! » Et elle te rendra grâce, mon ami, d’avoir eu pitié de mes peines et d’avoir pleuré de mes chagrins !

Mais, je le répète, que ta sœur les ignore : Aborde-la avec un visage calme, comme le mien l’est à l’instant suprême.

Dis-lui que ma mort a été douce, que je m’entretenais d’elle, que tu as entendu de ma bouche et lu dans mes yeux presque éteints, ces dernières pensées de mon cœur :

« Adieu, sœur d’un frère chéri, fille céleste, adieu ! Combien je t’ai aimée ! Comme ma vie s’est écoulée dans la retraite, loin du vulgaire, et toute pleine de toi !

« Ton ami mourant te bénit ; nulle bénédiction ne s’élèvera pour toi d’un cœur aussi sincère !

« Puisse celui qui récompense répandre autour de toi la paix et la vertu, et le bonheur de l’innocence !

« Que rien ne manque à l’heureuse destinée qu’annonçait ton visage riant, en sortant des mains du Créateur, qui t’était encore inconnu, lorsqu’il nous réservait un avenir si différent..., à toi les plaisirs de la vie, à moi les larmes.

« Mais au milieu de toutes tes joies, compatis aux douleurs des autres, et ne désapprends pas de pleurer.

« Daigne accorder un souvenir à cet homme, qui avait une âme élevée, et qui, si souvent, par une douleur silencieuse, osa t’avertir humblement que le ciel t’avait faite pour lui.

« Bientôt, emporté au pied du trône de Dieu, et tout ébloui de sa gloire, j’étendrai mes bras supplians en lui adressant des vœux pour toi.

« Et alors, un pressentiment de la vie future, un souffle de l’esprit divin descendra sur toi et t’inondera de délices.....

« Tu lèveras la tête avec surprise, et tes yeux sourians se fixeront vers le ciel..... Oh ! viens..., viens m’y rejoindre, vêtue du voile blanc des vierges, et couronnée de rayons divins ! »

 

GÉRARD.

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