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LES FEUILLETS AUTOGRAPHES LOVENJOUL D 741, FOL.115-119 ET 121

 

Le fonds Lovenjoul de la Bibliothèque de l’Institut conserve plusieurs feuillets autographes (D 741, fol. 115-119), brouillons de la préface aux Illuminés intitulée « La Bibliothèque de mon oncle » et notes complémentaires, qui montrent que Nerval a pensé à d’autres illuminés que ceux qu'il a fait figurer dans son volume, Raoul Spifame, l'abbé de Bucquoy, Cazotte, Cagliostro et Quintus Aucler : on peut déchiffrer les noms de Lapeyrière, de Swedenborg et de Saint-Evremond, puis, sur le feuillet 119, une suite de noms beaucoup moins connus de naturalistes physiocrates du XVIIIe siècle : Mercier de Compiègne (1763-1800), linguiste et traducteur, Dolbreuse, personnage de l’œuvre intitulée Dolbreuse ou l’homme du siècle, publiée en 1783 par Loaisel de Tréogate, Pierre Samuel du Pont de Nemours (1739-1817), Étienne Pivert de Senancour (1770-1846), Stanislas de Boufflers (1738-1815), Charles Bonnet, d’origine suisse (1720-1793) et enfin, de façon plus surprenante, « Gleyre », qui peut être le peintre du XIXe siècle Charles Gleyre (1806-1874), dont Nerval écorche déjà le nom en « Glaize » au chapitre IV de La Bohême galante, à propos d’un tableau représentant l’arrivée de Balkis auprès de Salomon.

. Un autre feuillet autographe de la même série griffonnée au crayon (D 741, fol. 121) offre des notes concernant l’oncle Antoine Boucher présenté comme un « original », contemporain des soirées d’Ermenonville et de Mortefontaine. C’est donc moins dans une perspective historique, voire érudite, que Nerval entend placer ses portraits d’excentriques, que dans celle du rapport tout personnel et presque intime qu’il a toujours entretenu avec eux.

À noter que les feuillets D 741 fol. 102 et 120 sont des brouillons d'un premier scénario de Sylvie.

Sur l'oncle Antoine BOUCHER, voir la notice AUX ORIGINES, L'ASCENDANCE MATERNELLE

Sur le grenier de la maison de Mortefontaine, voir RECHERCHES AVANCÉES, L'INVENTAIRE APRÈS DÉCÈS

Sur le premier scénario de Sylvie, voir MANUSCRITS AUTOGRAPHES, LES FEUILLETS LOVENJOUL D 741, fol. 102 et 120

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D741121copie

Le témoignage de Nerval sur son oncle dans la préface des Illuminés est complété par une série de notes personnelles sur un feuillet plié en quatre, ce qui n’en rend pas la lecture facile. Ce feuillet est conservé dans le fonds Lovenjoul de la Bibliothèque de l’Institut, D 741, fol. 121. Dans l’intention, semble-t-il, de faire de son oncle un « portrait », Nerval a griffonné là à la hâte quelques souvenirs très précis concernant Antoine Boucher, mais, comme tout ce qui est trop intime, il les a gardés pour lui. Nous en proposons ici la transcription.

 

C’est d’abord le souvenir d’une maison qui resurgit, associé, à la manière de Proust, à ceux de son oncle Boucher et de sa grand-mère qui y vécurent :

Toutes les fois que je me trouve en automne par un beau coucher de soleil devant une maison peinte en jaune avec des contrevents verts un ermitage à la J. Ja[c]ques entouré de treilles où serpente la vigne avec un rideau de peupliers, je pense à mon oncle et à ma grand-mère qui était sa sœur et qui porta si longtemps un corset de berger.

Sous cette première notation, on lit le mot « portrait », en plus gros caractères, puis entre deux traits une autre notation en abrégé, dont le sens échappe : « et ce n’est p[as] si [étonnant ?] que si c’était un autre parce qu’il sait b[ien] q[ue] c’est », qui ne fait peut-être pas partie du même projet. Au-dessous, Nerval mentionne des propos tenus par l’oncle, qu’il rapporte au style direct :

V[ou]s en êtes disait-il à v[ou]s occuper de D[ieu] Occupez-v[ou]s donc d’agir. Occupez-v[ou]s de vous-même [ ;] v[ous] êtes des fainéans qui comptez sur le ciel comme sur une loterie

Ces propos sont complétés plus bas :

Il est difficil[e] de trouver quelque chose qui éternise davantage la bêtise humaine que la diversité des langues, des costumes et des religions

Voilà ce que disait mon oncle homme imprégné d’idées [de] Voltaire

Sans dire si j’app[rouve] cette pensée, j’ignore s’il est permis de [ ?] mon pauvre oncle.

Les notes se poursuivent, dans l’autre sens de la feuille :

On dirait ajourd’hui c’est un original

Il était de son temps voilà tout Je dis cela sans ironie quoique familiarisé de bonne heure avec l’humorisme allemand

Les gens de ce tems ci me permettront du moins de donner une larme à cet homme qui fut bon toute sa vie avec un certain penchant à la misanthropie que je lui reprochais doucement

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D 741, fol. 115-119

 

Ces cinq feuillets griffonnés eux aussi à la hâte sont le brouillon de la préface des Illuminés, suivis d’une série de noms de candidats à l’excentricité qui auraient pu trouver place dans le volume.

 

[fol 115]

Il n’est pas donné à tout le monde d’écrire l’Éloge de la folie, mais sans être Erasme, Fontenelle ou Voltaire, on peut prendre plaisir à nettoyer de vieilles anciennes médailles ignorées ou frustes, à restaurer des vieilles toiles d’une composition bizarre dont la peinture écaillée fait sourire l’amateur vulgaire moderne

Dans ce temps ci où les portraits ont quelque succès, j’ai voulu peindre les excentriques de la philosophie. Loin de moi la pensée d’attaquer ceux de leurs fidèles successeurs qui souffrent aujourd’hui d’avoir tenté trop hardiment ou trop tôt [sous la ligne] de réaliser leurs rêves. Ces analyses ou biographies étaient [ont été suscrit] écrites on les lisait à l’époque où les masses confiantes attendaient les régénérations possibles à diverses époques, bien qu’elles se rattachent à la même pensée série.

J’ av ai été élevé [à la campagne suscrit] chez un mien parent qui possédait une bibliothèque formée à l’époque de l’ancienne révolution. Il avait relégué dans [fol 116] le grenier une foule d’ouvrages pour la plupart [publiés suscrit] sans nom d’auteurs à une épo [sous la monarchie sous la ligne] ou qui sous la république n’ont pas été déposés dans les bibl. nationales impériales. Les plus rares de ces écrits Une certaine tendance au mysticisme à une époque où la religion officielle n’existait plus avait sans doute guidé mon parent dans le choix de ces sortes d’écrits. Il paraissait depuis avoir changé [deux mots suscrits illisibles] d’idées et se contentait d’un deïsme mitigé.

Ayant découvert la masse énorme de livres entassés dans le grenier à demi mangés attaqués par les rats, pourris ou mouillés en partie la plupart, j’ai tout jeune absorbé beaucoup de cette nourriture malsaine pour l’âme — et plus tard [mon bon sens aspira suscrit] ma raison a eu à se défendre contre ces impressions premières.

Peut-être valait-il mieux n’y plus penser mais il est bon de se débarrasser de ce qui charge [fol 117] l’esprit. Et puis n’y a-t-il pas quelque chose de raisonnable à tirer même des folies ? Ne fût-ce que pour se préserver de croire nouveau ce qui est ancien.

Ces réflexions m’ont conduit à développer surtout le côté amusant et instructif que peuvent présenter la vie et le caractère de mes excentriques [inconnus sous la ligne]. Analyser les bigarrures de l’âme humaine cela vaut bien un travail de naturaliste paléographe, ou de médecin d’archéologue d’observateur ! Je ne regretterai puisque je l’ai entrepris, que de le laisser incomplet.

L’histoire du dix-huitième ,siècle pourrait [sans doute sous la ligne] se passer de cette addition annotation, mais elle ne peut rien y peut gagner quelque détail utile et pour moi-même imprévu. Cette époque a déteint sur nous plus qu’on ne le pouvait prévoir. Est-ce un bien est-ce un mal qui le sait disait mon grand-père [fol 118] excentrique, de la [un mot illisible, pris dans le timbre sec du papier Bath]

Complément aux études du 18e siècle

Ce n’est pas un ouvrage de [ ?] autrement il faudrait deux in 4

Lapeyrière

Swedenb[org]

une ligne illisible ]

St Evremon[d]

Tout le m[onde] ne sait pas le plaisir qu’il y a à nettoyer des médailles anc[iennes] frustes — à les redorer

un livre parf[aitement] sens[é] s[ur] des folies

Gérard de Nerval

[fol. 119]

Après un renvoi de note indiqué par (1) qui se rapporte sans doute à autre chose, Nerval a mentionné les noms de physiocrates naturalistes du XVIIIe siècle, autres candidats à l'excentricité :

Mercier de Compiègne

Dolbr[euse]

D[upont] de Nem[ours] qui a fait un dictionnaire du langage des bêtes et qui a reconnus signes 1500 mots de la langue des Rossign[ols]

Senancour 1er D’[ ?]

Boufflers

Bonnet

Gleize

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Lov. D 741, fol. 115

Lov. D 741, fol. 121

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Lov. D 741, fol. 116

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Lov. D 741, fol. 117

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Lov. D 741, fol. 118

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Lov. D 741, fol. 119