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Composé en juin 1824, L'Enterrement de la Quotidienne est un poème burlesque à la manière du Lutrin de Boileau, dans lequel Gérard adolescent a exercé tout son jeune talent de pasticheur et de satiriste contre La Quotidienne, journal réactionnaire ultra qui soutient le ministère Villèle. La page de garde du manuscrit, ornée de motifs particulièrement élaborés, porte la mention: « Poëme épique orné d'une préface dans le plus nouveau genre, par Gérard L... au collège Charlemagne ». Nerval biffera cette mention au moment de l’offrir à Houssaye en 1852, et la remplacera de façon plus neutre par : « Par G ...... ». Un second exemplaire manuscrit de L’Enterrement de La Quotidienne porte la signature : « G L de la famille des trois étoiles ».

Voir la notice LES ANNÉES CHARLEMAGNE

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L'ENTERREMENT DE LA QUOTIDIENNE (Extraits)

 

Le Chant premier présente d'abord l'argument du poème en pastichant L'Énéide :

Je chante les combats et ces pieux journaux

Qui par leurs grands exploits et leurs rudes travaux

Après sa triste fin purent, quoique avec peine,

Jusqu’au mont des Martyrs porter La Quotidienne ;

En vain leurs ennemis exerçant leur valeur,

Déployèrent contre eux leur indomptable ardeur,

On vit bientôt leur troupe effrayée, éperdue,

Fuir loin du boulevard, honteusement vaincue,

Ainsi que l’on voit fuir les paresseux frelons

Quand l’abeille en fureur poursuit leurs bataillons. (11-20)

Suit une série de portraits-charges des royalistes conservateurs grimpant au galetas de La Quotidienne moribonde, les Lacretelle, la vieille noblesse de cour dont Le Prévot d'Iray, auteur de La Vendée, poème en six chants, dédié à l'Armée française, libératrice de l'Espagne, paru en 1824, et enfin Chateaubriand-Chactas, l'auteur d'Atala reconverti dans la politique plus rémunératrice :

Peindrai-je Lacre... et le jeune et l'aîné

Qui montent l'escalier en se bouchant le nez?

Peindrai-je ces marquis, personnages caduques,

Qui contre le plafond accrochent leurs perruques,

Maudissant de bon coeur le destin rigoureux

Qui les a fait monter dans ces indignes lieux.

Peindrai-je ce Pré... à face de carême

Qui sur les Vendéens fit, dit-on, un poème...

Te dépeindrai-je ô toi dont la lyre sauvage

Se ressentant encore de ton lointain voyage

Et de ton long séjour parmi les Esquimaux,

Sut chanter et Chactas et l'esprit des tombeaux ?

Mais bientôt fatigué de ces folles chimères,

Tu quittas les romans pour voler aux affaires,

Et trois cent mille francs sans compter les profits

T'accommodèrent mieux que de méchants écrits; (39-56)

La Quotidienne harangue une dernière fois tous ses amis rassemblés. De quoi envoyer le jeune auteur à Sainte-Pélagie, si l'épopée n'était demeurée manuscrite:

Vous resterez toujours aussi bien qu'autrefois

Les plus fermes soutiens des prêtres et des rois,

On vous verra toujours bravant l'ignominie

Bannir la liberté, vanter la tyrannie,

Venger votre parti par des traits éclatants

Et par vos grands efforts détrôner le bon sens.

Jurez-moi de flétrir et d'avilir la France... (135-142)

 

Le Chant premier s'achève par la mort de La Quotidienne:

... Ici la Parque inévitable,

Tranche de ses ciseaux sa vie et son discours;

Ici La Quotidienne a terminé ses jours. (223-225)

 

Le Chant second nous transporte en Enfer, où Satan tient conseil. Mauvaise nouvelle, annonce Lucifer, qui tient là le rôle du sage Nestor: les philosophes qui sont en Enfer depuis quelques années déjà, Voltaire, d'Alembert, Rousseau, La Mettrie, ont converti les âmes damnées à leurs idées, et songent même à établir une République au royaume de Satan, après en avoir chassé les Jésuites:

Depuis que ces mortels, pédants et grands parleurs,

Esprits durs et rétifs, éternels raisonneurs,

Sont venus infester ces voûtes ténébreuses,

Ils remplissent ces lieux de clameurs dangereuses.

Tous nos concitoyens sont par eux convertis,

Et dans tous vos états on n'entend que ces cris,

Qu'il faut faire à tout prêtre une rude poursuite,

Et chasser de l'Enfer jusqu'au dernier Jésuite... (121-128)

Rien à craindre, rétorque Satan, «Nous avons Patouillet, / L'indomptable Nonotte...» (Jésuites, cibles de Voltaire) Pas du tout reprend Lucifer, eux aussi sont passés à l'adversaire. Seule donc La Quotidienne pourrait venir à bout de ces trublions. On dépêche donc le jeune démon Astaroth intercepter dans les airs (c'est déjà Méphisto...) l'âme de La Quotidienne que son ange gardien emporte vers les cieux:

... Astaroth fend la nue,

Et déjà plein d'ardeur plane dans l'étendue,

Et rasant de l'Atlas les sommets élevés,

Il voit passer sous lui les états, les cités.

Enfin il vole au lieu où la dame expirante

Exhalait dans les airs son âme frémissante;

Il l'enlève et déjà certain d'un bon succès,

Il promenait au loin des regards satisfaits.

En ce même moment, ô douleur! ô surprise!

Ô trop audacieuse et trop vaine entreprise!

Il voit l'ange gardien qui, descendant des cieux,

Va ravir son butin à lui-même, à ses yeux;

Il s'approche déjà, l'habitant des ténèbres

Furieux, éperdu, jette des cris funèbres,

Vers son fier agresseur tourne des yeux surpris,

Il a lâché sa proie, et sic vos non vobis.

Le Chant troisième nous ramène dans le galetas de La Quotidienne. Autour de la défunte, les rivalités font rage. Altercation entre la vénérable Gazette ( ultra) et la toute jeune et ambitieuse Étoile (ministérielle). On notera la comparaison avec le songe qui montre la familiarité, déjà, de Nerval avec le monde onirique, ici l'expérience du cauchemar: :

A cette vive attaque, à cette rude injure,

Le fier journal du soir lui saute à la figure.

Entendez-vous ces cris, ces lamentables cris,

Ces cris: « Secourez-moi, vengez-moi mes amis.»

L'autre n'écoutant rien, d'une main acharnée

A rougi d'un soufflet sa face décharnée;

Que faisais-tu, Gazette, à ce terrible affront ?

On eût vu tes cheveux se dresser sur ton front,

Tu restes à ce coup étonnée, étourdie,

Tu veux pour te venger lever ta main hardie.

Tu restes stupéfaite, ainsi que dans la nuit,

Quand un songe trompeur occupe notre esprit:

Souvent nous croyons voir au milieu des ténèbres,

Marcher vers notre lit des fantômes funèbres,

En vain nous voulons fuir, mais nous sentons nos pieds

Refuser leur service à la terre attachés. (39-44)

Enfin le Moniteur (ministériel) va ramener le calme en renvoyant dos à dos les deux adversaires:

Lors, on voit s’avancer le grave Moniteur,

Le doyen des journaux et le roi des menteurs,

Du temps qui toujours fuit la maligne influence,

A gravé sur son front la longue expérience :

« D’où vient, s’écria-t-il, ce coupable courroux ?

Gardez pour l’ennemi la force de vos coups.

Vous, orgueilleuse Étoile au combat acharnée,

Si dame Quotidienne a dans la matinée

Ennuyé le public, vous l’ennuyez le soir,

Laissez sa cendre en paix, et vive l’éteignoir. » (71-80)

En Enfer, où Astaroth rapporte les nouvelles, c'est la consternation. Comment désormais mater la contestation philosophique libérale? Encore une fois, le sage Lucifer-Nestor va tirer Satan d'embarras: il suffit d'octroyer une charte, et le tour sera joué. Nerval se livre ici à une satire en règle des mensonges de l'équipe au pouvoir, et tout particulièrement de Chateaubriand-Chactas et de ses séides, dont Martainville, rédacteur du Drapeau blanc, que Nerval épingle aussi dans une autre pièce du cahier des Poésies diverses: « À Saint-Germain il est quatre Martin. / Le premier, vil, ignorant journaliste, / Est rédacteur d'un journal royaliste / Qui dans les lieux anglais s'employe les matins...»

On demande une charte ? Accorde-la, grand roi.

Eh quoi donc, ce discours te met tout en émoi ?

Ce don, me diras-tu, n'est rien moins que frivole,

C'est vrai, mais tu peux bien manquer à ta parole,

Que sert l'exactitude avec les esprits forts?

D'ailleurs nous attendons bientôt quelques renforts.

Pour te rendre d'abord leurs cohortes soumises,

Parais en cette affaire agir avec franchise,

Ensuite sans danger, tu tronqueras leurs droits,

Bientôt levant le masque en dépit de leurs lois,

Parais, et roi vengeur reprenant ta puissance

Détruis en un seul jour toute leur espérance;

D'ailleurs pour soutenir ta gloire et tes lauriers

Nous verrons arriver d'invincibles guerriers,

Déjà je vois D*** noble enfant de la gloire

Dans nos rangs éperdus ramener la victoire;

Déjà j'entends Chactas, en suivant nos drapeaux

De la discorde ici ranimer les flambeaux;

Il court de rang en rang, j'entends sa voix altière

Par de nobles clameurs vociférer la guerre,

Sa forte main brandit un javelot pesant,

Il lance avec vigueur un caillou menaçant,

Il se porte partout, il s'empresse, il s'écrie:

« Nobles fils de Sion, mourez pour la patrie!

Renversez à vos pieds vos ennemis vaincus,

Et portez la terreur dans leurs rangs éperdus».

J'entends avec H*** le bouillant Martain***

Verser sur les vaincus tous les flots de sa bile,

Et mille autres héros s'élançant à la fois

Signalent leur valeur par de nobles exploits . (147-180)

 

Satan se prête à la mascarade et octroie donc sa charte:

Satan le lendemain rassemble ses sujets:

« Citoyens, leur dit-il, de cet empire auguste,

Comme il faut avant tout qu'un roi soit bon et juste,

J'accède à vos désirs, et cessant mes refus

Je vous donne une charte, en voici les statuts:

Les diables sont égaux, ce n'est pas la naissance,

C'est la seule vertu qui fait la différence,

Tous peuvent parvenir aux charges, aux emplois,

Les roturiers aux grands pourront donner des lois.

Aux grands comme aux petits Thémis sera propice

Et tous pourront de moi obtenir la justice.» (184-194)

 

Et tous les libéraux crédules d'acclamer en choeur:

Vive, vive Astaroth, Lucifer, et Satan!

 

Le Chant quatrième s'ouvre sur la journée du lendemain. À l'aube, le convoi funèbre de La Quotidienne se met en branle vers le "mont des Martyrs" (Montmartre):

Déjà chassant la nuit, le piqueur du soleil

De la nature en deuil annonçait le réveil;

Triste revers d'un jour lugubre et plein d'orages,

Car une main prudente a, craignant les nuages,

Couvert d'un voile épais les brillants ornements*

Du char qu'on voit marquer les saisons et les ans... (1-6)

*Nerval a mis pour ce vers une note malicieuse: « C'est-à-dire que le temps est couvert. Ah! j'entends le romantique, à présent; oui, je me suis amusé à traduire Le Solitaire »

 

L’auteur d’Atala ouvre le cortège des journaux ultras, La Foudre, Le Drapeau, L'Oriflamme, L'Étoile, et ministériels, Les Débats, Le Moniteur:

Vers le mont des Martyrs le cortège s’avance,

On voit marcher en tête le pèlerin Chactas,

Qui soutient d’un bâton son invincible bras ;

Une gourde, un chapeau complètent la parure,

Et sa robe à rabat lui donne la tournure

De ces saint insensés qui par monts et par vaux

Vont demander du pain aux fidèles dévots,

Lorsque des Iroquois il quitta les rivages,

Il fit en Palestine un curieux voyage,

Et ne retira rien pour fruit de ses travaux,

Que l’esprit d’un sauvage, et l’humeur des dévots.

C’est un petit abbé qui marche sur sa trace,

Il semble tout bouffi d’insolence et d’audace,

On le voit plein d’ardeur précipiter ses pas,

Comme un fou s’agiter et se tordre les bras.

Rien ne peut retenir son fiel et sa furie,

Il est sans doute atteint de quelque frénésie

La Foudre qui rédige en dépit du bon sens,

Lance au loin sa fureur et ses traits insolents.

Mais Le Drapeau paraît, le fougueux Martain***

Nous retrace en petit l’impétueux Achille,

Du héros de la Manche il a l’accoutrement,

Son casque , sa sandale, et son équipement.

Et quant à son visage, il est encore plus blême.

Sur sa rondache on lit : « Vive le roi quand même » ;

Mais il regarde tout du haut de sa grandeur,

Car d’énormes talons relèvent sa hauteur.

Près de lui L’Oriflamme, arpentant dans sa crotte,

Marche, nouveau Sancho d’un si grand Don Quichotte ;

Mais le moins fortuné de tous ces raisonneurs,

Il a moins d’abonnés qu’il n’a de rédacteurs,

Le Journal des Débats soutien du ministère

S’avance avec L’Étoile, insipide mégère ;

Elle prend Les Débats pour guide et pour appui

Et suivant ses conseils n’est d’accord qu’avec lui.

Enfin Le Moniteur en grave patriarche,

Chemine derrière eux en terminant la marche.

La plaintive Gazette en longs habits de deuil,

Vient le mouchoir en main gémir sur le cercueil,

La foule qui les suit, attendrie, éperdue,

Au loin de ses clameurs fait retentir la rue. (28-66)

Sur le boulevard, la foule est massée, car c'est jour de Mardi-Gras. Elle acclame le cortège qu'elle prend pour des masques de carnaval. Fureur de Chactas, soufflets, puis mêlée générale entre ultras et libéraux:

C’était un Mardi gras ; les masques peu nombreux,

Ne venaient pas du peuple attirer tous les yeux,

En vain par-ci par-là des masques de police

Cherchaient à ranimer une gaieté factice.

Le peuple cherche en vain par tous les boulevards

Quelque objet digne au moins d’attirer les regards ;

C’était en ce moment que sortant de l’église,

Le lugubre convoi sans craindre de surprise,

En sa triste douleur poussant de gros soupirs,

Déjà se dirigeait vers le mont des Martyrs.

Au coin des boulevards ils passaient en silence,

C’était là que siégeait la plus grande affluence,

D’un peuple d’étourdis et de gens curieux,

Et qui toujours en vain écarquillent leurs yeux.

Mais voyant le convoi qui comble leurs attentes

Ils font tout retentir de clameurs insolentes,

Car tous ces vêtements bizarres, bigarrés,

Dont les gens du convoi se trouvaient tous parés

Avaient facilité cette étrange méprise.

Qui pourrait du cortège égaler la surprise ?

Tous agitant leurs poings tombent sur les railleurs.

« Quoi, marauds, du mérite insolents détracteurs,

Vous osez, dit Chactas, nous couvrir de huées,

Apprenez, vils coquins, canailles endiablées,

Qu’un railleur doit toujours craindre notre courroux,

Vous saurez ce qu’on gagne à provoquer nos coups. »

A ces mots expressifs pour punir cette injure

Il donne à l’un d’entre eux un coup sur la figure,

Et celui qui reçut un affront si formel,

C’était, tremble Chactas, Le Constitutionnel.

Un coup de poing déjà plus fort et plus terrible

Est donné sans délais au sauvage invincible,

Et bientôt à l’envi levant leurs poings altiers,

Le combat s’établit entre les deux guerriers.

Mais déjà du convoi l’épouvantable escorte

Attaque à coups de poings la railleuse cohorte

Et l’affreuse discorde agitant un fanal,

Donne du haut des airs le terrible signal.

À l’aspect du flambeau, que de loin elle agite,

On voit mille guerriers abandonner leur gîte,

Et de la Madeleine au canal Saint-Martin,

On a vu se presser, et l’habitant hautain,

Apportant du faubourg son ardeur belliqueuse,

Et des excalicots la troupe valeureuse,

On vit aussi, dit-on, l’habitant du Marais,

Quitter pour quelque temps l’étendard de la paix,

Tant leur acharnement était grand et terrible !

Des journaux libéraux la cohorte invincible

Vers le lieu des combats accourt à pas pressés. (73-121)

 

Chant cinquième: les troupes du Moniteur (ministériel) et du Constitutionnel (libéral) sont face à face, la mêlée épique s'engage. Écrivains et journalistes ultras meurent en héros, ... ils ne feront plus mourir d'ennui leurs malheureux lecteurs:

La palme sur leurs fronts n'a pas été flétrie,

Fidèle à son parti, chacun pour la patrie

Expire avec honneur et tombant dans l'oubli,

Délivre les Français d'un éternel ennui,

Car si la mort avait épargné leurs courages,

On les verrait encore, leurs terribles ouvrages,

Répandre les ennuis dans nos murs attristés,

Et les lecteurs surpris fuiraient épouvantés. (79-86)

Du ciel, La Quotidienne voit la déroute des siens et vole vers eux pour leur redonner coeur. Le Constitutionnel se lance à sa poursuite. La fin du Chant manque. Le manuscrit porte une page blanche, avec la mention: « Ici, un morceau de poésie perdu et dans lequel le Constitutionnel poursuivait La Quotidienne jusqu'au bord de la Seine; là il croit tenir dans ses mains l'ombre qui lui échappait ».

 

Chant sixième: C'est maintenant du côté des libéraux que le courage faiblit. Nerval reprend le ton de la parodie épique en invoquant Delavigne pour chanter leur sursaut héroïque et le combat singulier qui s'ensuit entre deux champions, Le Courrier pour les libéraux, l'inévitable Martainville pour les ultras. Nouveaux Horace et Curiace, les héros s'affrontent. Martainville est abattu d'un pavé (ô symbole!) lancé par Le Courrier:

Ô toi qui sais si bien célébrer nos guerriers,

Qui sais verser des pleurs sur leurs tristes lauriers,

Toi qui, chantre éternel de leur antique gloire,

Bien digne favori des filles de mémoire,

Sus chanter leurs exploits sans avoir de rivaux,

Ô divin Casimir, prête-moi tes pinceaux ;

Dis-moi comment lassé d’un combat sanguinaire

Le Courrier sut former un projet téméraire,

Comment plein d’un beau feu ce terrible guerrier

Vainquit le fier Martain en combat singulier. (19-28)

..........

Tel et plus grand encor, plein de bile et de rage

Marche le fier Martin qu’anime son courage.

Le Courrier a frémi, mais bientôt rassuré

Sur son rival qu’il a de ses yeux injurié

Il frappe, et l’ennemi qui dans l’instant l’irrite

En détournant le corps le repousse et l’évite.

Mais il frappe à son tour, du héros étonné

Le bras fort et nerveux est de sang bigarré.

À cet aspect son sang dans ses veines bouillonne,

La pâleur se répand dans toute sa personne.

Il saisit son fouet qui naguère vainqueur

Faisait fuir les ultras tous pâles de frayeur.

Il frappe, au même instant, ô désespoir, ô rage,

Il maudit l’instrument qui trahit son courage

Car le manche trop faible en morceaux a volé.

Il rugit de fureur et demeure accablé,

Mais bientôt rappelant son antique vaillance

Il saisit un pavé que dans l’air il balance.

Le plus fort paysan n’aurait pu l’ébranler

Et déjà les ultras commencent à trembler.

Tout Martin a frémi, du pavé redoutable

Il reçoit à l’instant le coup inévitable,

Il chancelle, succombe, il a fermé les yeux,

Tous pensent que Martin a rejoint ses aïeux. (77-100)

 

Il ne faut pas moins que le secours de Virgile et d'Homère pour peindre la mêlée qui s'ensuit:à son tour, La Foudre (ultra) s'empare d'un pavé et le lance sur Le Miroir (libéral) qui tombe mort. C'est alors que tel un phénix, Le Miroir renaît dans de multiples journaux libéraux, Le Corsaire, Pandore, Le Diable boiteux, tandis que des flancs de L'Oriflamme abattue sort Le Régulateur, que les libéraux Mercure de France et Argus vont se charger de faire taire.

Ô Muse des combats, viens animer mes chants !

Inspire-moi la verve et les nobles accents

Du berger de Mantoue et du divin Homère

Entonne près de moi la trompette guerrière,

Dépeins-moi Le Courrier qui contre l’ennemi

Défend le triste corps de son illustre ami,

Dis comment ce guerrier ardent à se défendre

Se vit nouveau phénix renaître de sa cendre.

Le Corsaire et Pandore issus du même sang

Et Le Diable boiteux ont sorti de son flanc.

Tous trois moins imprudents que leur malheureux père

Modèrent quelque peu leur ardente colère,

Et sages et vaillants sans être audacieux

Ils détournent leurs coups qui n’en frappent que mieux.

Je ne dépeindrai pas la sanglante mêlée

Ni la victoire entre eux sans cesse balancée.

Pour chanter dignement ce combat meurtrier

C’est peu d’être poète, il faut être guerrier.

Ce fut là qu’animé d’une sublime flamme

Ce jour te vit tomber, ô superbe Oriflamme,

Ô douleur ! en ce jour un journal déhonté

Traîna dans les ruisseaux ton drapeau tout crotté,

Mais dans le même instant (ô miracle incroyable,

Et bien vrai cependant ) de ton flanc redoutable

S’élève un fier guerrirer qui frémit de fureur.

Ô libéraux, tremblez ! C’est Le Régulateur !!! (111-136)

 

C'est finalement d'Arlincourt (encore lui!) qui mettra fin aux hostilités en endormant tout le monde avec ses discours:

D’Arlincourt apparaît. Ô vous, braves auteurs,

Devant ce grand guerrier courbez vos fronts vainqueurs !

Voilà donc le succès d’une telle bataille.

C’est lui, c’est d’Arlincourt, il parle et chacun bâille.

Il pérore et déjà sur leur oeil languissant

Un sommeil impromptu se prolonge et s’étend. (155-160)

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