17 décembre 1831 — Fantaisie, odelette, dans les Annales romantiques, 1832, signé Gérard.

Fantaisie, la plus célèbre des odelettes de Nerval, fut plusieurs fois reprise, dans Le Journal des gens du monde en 1834, dans les Annales romantiques pour 1835, dans La Sylphide, le 31 décembre 1842, sous le titre : Vision dédiée à Gautier, dans L’Artiste, le 1er août 1849, sous le titre : Odelette, signée Gérard de Nerval, en 1852 dans La Bohême galante V, et enfin en 1853 dans le premier des trois Châteaux des Petits Châteaux de Bohême. Nerval rétablira la graphie Weber au deuxième vers, en précisant en note que l’on prononce « Wèbre  », d'où la rime du premier quatrain. On connaît plusieurs manuscrits de cette odelette comportant des variantes : « vitraux peints / teints ; ceint de grands bois/ ceint de grands parcs; en son costume ancien / en ses habits anciens ».

Le poème se déroule comme une réminiscence, à la manière de Proust, comme si la mémoire involontaire, éveillée par une donnée auditive — ici un vieil air, sans doute une chanson populaire comme les aimait Nerval, probablement la chanson du Roi Louis — déclenchait la lanterne magique des images fondatrices de la mythologie personnelle. Ce qui surgit ici, c'est le monde de l'enfance, Mortefontaine ou Saint-Germain-en-Laye, selon le processus de la rêverie à l’œuvre également, mais sur le mode du récit, dans Sylvie, où l’annonce dans un journal de la Fête de l’arc en Valois déclenche chez le narrateur le souvenir des mêmes fêtes à Loisy, lieu de son enfance, et par association celui d'un autre château — et si c'était le même? — où lors d'une fête enfantine, il avait vu comme dans un songe celle qu'il nomme Adrienne, et qui lui rappelle Aurélie, l'actrice dont il est amoureux.

En même temps que le pouvoir de la mémoire involontaire, suscitée par la sensation auditive ou visuelle, Nerval a éprouvé une autre vérité proustienne, celle du pouvoir de la rétrospection : l’instant présent, dans la précarité de son vécu, ne prendra consistance que dans sa reviviscence, et c’est le rôle de l’écriture d’en extraire et d’en fixer l’essence, le temps retrouvé.

Voir BELLES PAGES, "Il est un air..."

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FANTAISIE

 

Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Wèbre,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
 
Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit...
C’est sous Louis XIII — et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit ;
 
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre les fleurs.
 
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en son costume ancien
Que dans une autre existence peut-être
J’ai déjà vue et dont je me souviens !
 

GÉRARD.

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