13 février 1830 — Appel, par Körner (1813), dans Le Mercure de France au XIXe siècle, t. XXVIII, p. 293-295, non signé.

Le poème sera repris en volume en 1840 dans Faust de Goëthe, suivi du second Faust.

Voir la notice LA CAMARADERIE DU PETIT CÉNACLE.

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POÉSIE ALLEMANDE (1)

 

APPEL,

PAR KÖRNER (1813).

 

En avant, mon peuple ! La fumée annonce la flamme, la lumière de la liberté s’élance du Nord vive et brûlante ; il faut tremper le fer avec le sang des ennemis : en avant, mon peuple ! La fumée annonce la flamme ; la moisson est grande ; que les faucheurs se préparent ! Dans l’épée seule est l’espoir du salut, le dernier espoir ! Jette-toi bravement dans les rangs ennemis, et fraie une route à la liberté ! Lave la terre avec ton sang, c’est alors seulement qu’elle reprendra son innocence et sa splendeur.

Ce n’est point ici une guerre de rois et de couronne ; c’est une croisade, c’est une guerre sacrée ! Droits, mœurs, vertu, foi, conscience, le tyran a tout arraché de ton cœur, le triomphe de ta liberté te les rendra. La voix des vieux Allemands te crie : Peuple ! réveille-toi ! Les ruines de tes chaumières maudissent les ravisseurs ; le déshonneur de tes filles crie vengeance ; le meurtre de tes fils demande du sang !

Brise les socs, jette à terre le burin, laisse dormir la harpe, reposer la navette agile, abandonne tes cours et tes portiques !... Que tes étendards se déploient et que la Liberté trouve son peuple sous les armes ; car il faut élever un autel en l’honneur de son glorieux avénement, les pierres en seront taillées avec le glaive, et ses fondemens s’appuieront sur la cendre des braves.

Filles, que pleurez-vous ? Qu’avez-vous à gémir, femmes pour qui le Seigneur n’a point fait les épées ? quand nous nous jetons bravement dans les rangs ennemis, pleurez-vous de ne pouvoir goûter aussi la volupté des combats ? Mais Dieu dont vous embrassez les autels, vous donne le pouvoir d’adoucir par vos soins les maux et les blessures des guerriers, et souvent il accorde la plus pure des victoires à la ferveur de vos prières.

Priez donc ! Priez pour le réveil de l’antique vertu ; priez que nous nous relevions, grand peuple comme autrefois ; évoquez les martyrs de notre sainte liberté ; évoquez-les comme les génies de la vengeance, et les protecteurs d’une cause sacrée ! Louise, viens autour de nos drapeaux, pour les bénir ; marche devant nous, esprit de notre Ferdinand : et vous, ombres des vieux Germains, voltigez sur nos rangs comme des étendards !

A nous le ciel, l’enfer cédera ! En avant peuple de braves !... En avant ! Ton cœur palpite et tes chênes grandissent. Qu’importe qu’il s’entasse des montagnes de tes morts... il faut planter à leur sommet le drapeau de l’indépendance ! Mais, ô mon peuple ! quand la victoire t’aura rendu ta couronne des anciens jours, n’oublie pas que nous te sommes morts fidèles et honore aussi nos urnes d’une couronne de chêne.

 

(1) L’article très-remarquable publié sur Körner, dans le journal des Débats du 21 janvier, nous encourage à donner une ode de ce poète, quoique nous ne dissimulions pas combien ces sortes d’ouvrages perdent à la traduction. Le Mercure, destiné particulièrement aux personnes qui s’occupent de littérature, espère leur être agréable, en offrant de temps en temps comme études d’artistes des morceaux de poésie étrangère : on se sera peut-être rappelé, en lisant dans les Débats, le Chant de l’Épée, que nous l’avons fait connaître les premiers dans une de nos précédentes livraisons. G.

 

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